31/05/2011

La perversité du business model des SSII

Après la découverte de Causal Loop Diagram, on peut considérer les bases acquises et on peut passer aux choses sérieuses :)

Essayons maintenant de schématiser non plus une fille accro au chocolat et au shopping, mais une SSII moyenne, accro à... hum... justement, on va voir.

Globalement, le business model d'une SSII classique repose sur 3 choix principaux, liés entre eux :
  1. On cherche à maximiser la rentabilité : "staffer un max de personnes au moindre coût
  2. On est valorisé selon les jours/homme que l'on facture et non pas selon la qualité de ce qui est livré au client : en gros, on n'a aucun intérêt de produire vite et bien, car ça ferait sortir du compte plus vit
  3. On n'investit pas beaucoup dans le savoir-faire et dans le traitement des ressources humaines, ce qui s'explique en partie par les deux points précédents et se renforce par le taux de turnover dans le secteur, et ce qui leur a valu le surnom de "viandards"
La recherche de rentabilité n'est pas un vice en soi. Mais si elle génère un business model qui est en train de s'auto-tuer ? Regardez ce que ça donne si on maintient les 3 choix cités :


Qu'est-ce que ça donne niveau cercles vicieux ou vertueux (c'est à dire des cycles qui créent de la valeur ou qui la détruisent) ? A peu près ceci :


Comme nous pouvons constater, il y a 3 cercles vicieux principaux avec un certain nombre de variantes. 

Ils conduisent tous à une baisse de revenus -> recherche de rentabilité  ->baisse d'investissements dans le capital humain -> baisse de qualité produite -> baisse de prix... et ainsi de suite dans une course sans fin à la recherche de la rentabilité qui s'effondre sans arrêt ... Parce que, précisément, dans un dispositif ainsi conçu, elle ne peut que s'effondrer !

Alors, on est bien d'accord, c'est pas terrible comme logique de fonctionnement. Que faire alors ?

La réponse est simple : le business model est soutenu par un certain nombre de choix. Pourquoi ne pas essayer d'inverser ces choix ?

Certains l'ont déjà très bien compris. Notamment, les SSII "haut de gamme" ont une approche très différente à leurs ressources humais et à la formation en interne. En s'intéressant à leur capital humain, elles neutralisent, voire rendent vertueux, les cercles vicieux 2 et 3 sur notre schéma, ce qui change très considérablement leur business model et leur positionnement sur le marché.

Résultats ? Référence du secteur en termes des prestations à effectuer, elles facturent le jour/homme bien au-dessus de la moyenne du marché. Ce qui, comme nous pouvons l'imaginer, fait baisser la pression sur le staffing à tout prix et permet de se concentrer sur autre chose pour produire plus d'avantages concurrentiels "haut de gamme"

Ok.

Une question reste pour moi non répondue.

On a vu comment l'amélioration de la gestion du capital humain peut améliorer le fonctionnement de l'entreprise. Et 
si on faisait pareil avec le "choix stratégique numéro 1" de notre liste ? 

Et si on ne vendait plus du temps mais des outils de travail pour le client ? Et si on valorisait le travail selon ce qui a été produit et pas au temps passé ? 

Que deviendrait une SSII pareille ? 
Et surtout - Qu'est-ce qui l'empêche aujourd'hui de le devenir ?

Ce n'est pas une question rhétorique. 
Je ne comprends vraiment pas.

12 commentaires:

  1. Ce modèle de rentabilité s'applique surtout à l'ensemble des acteurs économiques. Les entreprises qui utilisent ces SSII sont les 1ères à tirer vers le bas et rentrer dans la boucle.

    Ce système ne va pas s'auto tuer vu que l'ensemble de l'activité économique n'est pas transparente (lobby, etc)

    Sinon je conseille vivement de lire Thinking in System pour découvrir la Systémique et les "Causal Loop" :)

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  2. D'accord et pas d'accord pour le tirage vers le bas :)

    Les entreprises clientes ont tout à fait raison de le faire - lorsqu'on leur propose des services similaires, voire même les mêmes ressources (genre on retrouve les mêmes CV dans les propales différentes). Lorsqu'il n'y a aucune différenciation sur la valeur proposée, c'est normal de rentrer dans une guerre des prix. Si je peux acheter 6 cannettes de coca pour 2,30 au supermarché, pourquoi payer une canette 1,50 à la boulangerie? En revanche, si, imaginons, je me retrouve dans une boutique où le vendeur sélectionne la boisson optimale pour moi étant donné mes goûts et mes envies, ça ne me choquerait pas de payer bien plus ! (sauf si c'est du coca, auquel cas je me sentirais arnaquée :)

    Le problème est que c'est justement ce fonctionnement qui crée l'effet de commodity, l'érosion de la valeur perçue et produite, et donc la dégradation des prix.


    Changer la donne est possible. Nous travaillons aujourd'hui avec quelques SSII pour leur apprendre la vente complexe qui les positionne de manière différenciante. Mais ce changement, bien qu'il permet déjà de vendre mieux et plus, reste cosmétique : il faut revoir la rayon "boissons", aussi :)

    Je suis d'accord que ce système ne va pas disparaître du jour au lendemain, c'est comme le pétrole, tant qu'il y a de quoi forer et le baril est au-dessus su prix de revient on va continuer comme avant.
    On ajoute des couches : agilité, DDD, xp, lean et je ne sais quels acronymes. Après tout le monde sait faire, ça ne coûte plus rien - et on invente un nouveau truc, toujours avec le même modèle de fonctionnement

    J'attends de voir ceux qui auront le courage de changer en profondeur pour proposer des services différentiants et à forte valeur ajoutée qui répondent au besoin réel du client. Ce sera tout nouveau. Et il y aura des parts de marché énormes à faire.

    hum, je me suis emballée sur le texte.. pardon :)

    Un énorme merci par ailleurs pour le tuyau Thinking in System, je vais le commander, ça a l'air top à lire !

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  3. Je confirme que Thinking in System est une référence, c'est passionnant et plutôt bien écrit. C'est de la vulgarisation (donc pas de math), mais ça donne de bonnes bases.

    "Et si on valorisait le travail selon ce qui a été produit et pas au temps passé ?" => je fais un peu mon neuneu de base, mais ne s'agit t'il pas la de la description du "forfait" ? Pour moi, Forfait = engagement de résultats, régie = engagement de moyens.

    Il me semble que le forfait est aussi beaucoup décrié...

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  4. C'est vrai aussi :)

    A vrai dire je n'ai pas d'avis sur le mode de facturation optimal (et d'ailleurs je ne sais pas s'il en existe un).

    La facturation est un processus pivot certes, mais pour moi ce n'est pas là où le choses peuvent se jouer. Ceci me semble plus une question de priorités stratégiques dans l'entreprise et de la manière dont elles sont respectées et suivies. Et - désolée pour les gros mots - du changement de valeurs et de la culture.

    Eh oui, je parle des VRAIS projets de change et de stratégie. Les SSII sont devenus des paquebots énormes auxquels le changement ferait beaucoup de bien.

    En tout cas à ceux qui l'auront compris plus vite que les autres.

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  5. Hum, je suis très dubitatif par cette analyse. Il est possible de l'appliquer à tous les secteurs et toutes les entreprises en réalité. Les SSII se sont lentement transformées en société d'interim, devenant les symptômes du choix stratégiques des très grandes entreprises. Flexibilité du travail, off shore, near shore. L'éducation rentre également dans la boucle. Le système des grandes écoles tend à favoriser certaines castes au détriment d'autres; comment comprendre que certaines grandes industries valorisent certains diplômes contre une réelle expérience professionnelle ?
    En prenant un peu de recul, il y a beaucoup à dire sur le système capitaliste, construit à l'origine sur la valeur ajoutée et qui trouvait peu ou prou son équilibre par succession de crise et prise de conscience politique des travailleurs citoyens. Mais tout a lentement muté vers du néo-libéralisme avec pour fondamentaux le népotisme et la transformation du citoyen en consommateur ; où ce dernier ne trouve sa jouissance que dans l'accumulation des biens, ce qui favorise justement ce modèle néo-libéral.
    Pourquoi par exemple trouve-t-on tant de consultants indépendants et aucune SCOOP de services ? C'est bien que comme pour l'oeuf et la poule, il est devenu presque impossible aujourd'hui de différencier la lente dégradation du capital humain en capital travail, y compris au niveau individuel. Par ailleurs, l'éthique du travail dans le service qui serait de rendre le meilleur livrable possible tout en devenant de plus en plus un référent dans son métier est en train de disparaître. Un peu, comme pour le monde industriel où l'ouvrier spécialisé devenait petit à petit un maître qui enseignait à des apprentis.
    Il y a des changements à faire tant au niveau individuel qu'au niveau collectif, à chacun de mesurer combien son action individuelle dans le champ de son travail au quotidien et dans le champ de la politique sont indissociables.
    J'ai fondé une entreprise de services avec cette logique. Formation obligatoire et contractuelle, compensation carbone, incentives pour que chacun puisse progresser, équilibre des trois forces, une vraie direction technique, une vraie direction commerciale et une vraie direction des ressources humaines. Les plus confirmés deviennent les référents des plus juniors, un peu comme chez les compagnons bâtisseurs. Accompagnement des salariés dans leur carrière, y compris dans leur intégration dans une société utilisatrice. Tout ceci est une goutte d'eau dans l'océan néo-libéral, mais nous n'espérons qu'une chose, c'est que notre entreprise soit copiée, que d'autres prennent conscience qu'au centre de toute économie il y a d'abord des hommes qui pensent et réalisent.
    Je ne pense pas que le système va s'auto-tuer, mais qu'il va surtout concentrer les richesses et les pouvoirs entre les mains des plus puissants, laissant peu d'espace de liberté et d'indépendance pour les autres. Et surtout nous faire perdre l'essentiel, la conscience de ce que nous sommes et de ce qui réellement bon, juste et vrai.

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  6. Bonjour,
    Cet article me semble très juste. J'ai cependant beaucoup de réserve sur votre conclusion :"Et si on valorisait le travail selon ce qui a été produit et pas au temps passé ? ". C'est le fond du problème : Quelle valeur accorder à un travail ? Est-ce la même chose en prestation de service ? (de plus dans la réalisation de logiciel avec pour enjeu notamment la maintenabilité et l'évolutivité sur 1, 5 ou 10 ans !) C'est extrêmement compliqué ! Sur quels critères ? Chaque contexte exige des critères différents.
    J’espère qu’un jour vous ferez un article sur votre vision de ce point ;)

    Je suis développeur/Scrum Master en SSII, je m'en excuse mais je ne peux m’empêcher de faire cette remarque :
    "On ajoute des couches : agilité, DDD, xp, lean et je ne sais quels acronymes. Après tout le monde sait faire, ça ne coûte plus rien - et on invente un nouveau truc, toujours avec le même modèle de fonctionnement".
    L'agilité est avant tout une "philosophie" de notre travail, qui implique un fonctionnement très différent, et justement en accord avec votre article. Personne ne "sait en faire". Ce que l'on sait faire, c'est ce que nos commerciaux en ont fait : une soupe avec quelques pratiques. Et par contre du coup tu as raison, cela va donc lasser, et on passera à autre chose, sans se poser de question, avec le même fonctionnement.

    Commentaire un peu long:/
    Je viens de découvrir (et parcourir) ce blog. Tout ceci est très intéressant/pertinent ;)

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  7. Merci Olivier pour ce commentaire qui me semble très juste. Il paraît que de nouvelles sociétés de services émergent avec de nouvelles règles de jeu, et c'est très inspirant. Je découvre avec grand intérêt le site de votre société et suis très curieuse de voir comment tout ceci fonctionne "en vrai" (au-delà de la vitrine électronique) :)

    Anonyme : J'ai l'impression que nous ne nous soyons pas bien compris au niveau du langage. Par "valoriser" j'entends les critères de reconnaissance (externe et interne) et de rémunération des salariés, qui traduisent normalement les priorités stratégiques fixés par les dirigeants et qui motivent les personnes à agir d'une certaine manière. Je ne connais pas votre métier de manière suffisamment fine pour pouvoir proposer des solutions soutes faites mais il devrait forcément y en avoir. Nous pourrions en discuter ensemble un jour, ce serait avec plaisir.

    Juste une dernière chose... Pourquoi faire vendre de l'agilité aux commerciaux? Ceci devrait être un sujet pour les experts techniques qui s'y connaissent, comme vous, par exemple... non?

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  8. Merci pour votre réponse et vos encouragements (il en faut !!) Rome ne s'est pas construite en un jour mais nous y travaillons !... Venez un jour juger par vous même et peut-être faire un article. Nous supporterons la critique, indispensable pour s'améliorer.

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  9. Vendre des outils de travail enclenchent les mêmes cercles vicieux (les outils sont rendus tellement complexe qu'il faut des consultants pour les comprendre).

    Il y a un très bon exemple avec Spin Selling et les techniques de ventes dont du parle dans cet article, Spin Selling est bien plus ancien et donne tout les tuyaux sur ce type de vente (contrairement au livre de référence sur les méthodes de ventes que tu évoque) :
    http://www.des-livres-pour-changer-de-vie.fr/spin-selling-neil-rackham/

    Le seul métier qui s'en est sortit est le coaching professionnel, l'idée c'est de rendre les outils tellement simple que le client n'a pas besoin d'aide pour les comprendre ni pour les mettre en oeuvre, il y arrivera juste plus rapidement grâce à un coach.

    Pour plus d'info, il y a pas mal de références dans les livres sur le coaching sur le types de contrats et la déontologie associés pour ne pas placer les clients en dépendance.

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  10. Bonjour,

    Article intéressant, pourriez vous donner quelques précision sur l'organisation de ces nouvelles SSII qui auraient un business model plus "Humain" ?

    des noms! des noms! Cela aura au moins l'avantage de mettre en avant les personnes qui essayent de faire évoluer les choses dans le bon sens.

    ET en seconde question ...

    Excusez mon ignorance mais que se cache t il derrière ce concept de "SCOOP" que chacun d'entre vous semble maîtriser parfaitement.

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  11. Bonjour Anonyme,

    D'abord la question simple du scoop : http://fr.wikipedia.org/wiki/Scoop

    Ensuite, les noms : à vrai dire, je n'ai pas très envie de les citer, et ceci pour plusieurs raisons. L'analyse en question n'est pas basée sur l'observation, mais sur des récits des personnes. Je ne peux donc pas dire avec 100% de certitude que telle société est une "bonne" SSII, et telle autre - une moins bonne. C'est peut être certain pour les personnes qui m'en ont parlé, mais moi je n'ai aucune preuve tangible, en tout cas pour l'instant.

    Mon activité actuelle nécessite une meilleure compréhension de ce marche. Il est possible que, après m'être informée davantage sur le sujet, je serai en mesure de revenir vers vous pour plus de précisions.

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  12. A propos de la valorisation des réalisations, il me semble que, essentiellement en amont, la démarche agile apporte qques éléments intéressants ici, en ce sens qu'elle tend à définir une phase de négociation plus importante/longue/adéquate à propos de ce qui doit être développé, de définir un accord sur le temps de réalisation, après s'être bien mis d'accord avec le client sur l'intérêt de la réalisation et sur la traduction des développements à faire en éléments plus propres à être appropriés par le client (via les user stories), ce qui permet de lever des ambiguités. De fait, la démarche agile ne résoud pas le problème initial, mais tend déjà IMHO à clairifier/pacifier le terrain.

    En aval, les RSE (Réseaux Sociaux d'Entreprise) tendent à remettre de l'individu au premier plan. Ce qui demande IMHO une certaine politique de transparence, et peut amener (dans le meilleur des mondes, hein!) à ce que les pratiques de la hiérarchie soient challengées au profit des meilleures pratiques qui peuvent émerger de la base. Il me semble que cela peut être aussi une piste intéressante, par ex, pour permettre, comme l'envisage Olivier, "à chacun de mesurer combien son action individuelle dans le champ de son travail au quotidien et dans le champ de la politique sont indissociables". Cela peut être aussi intéressant pour mettre en avant ce que j'appelle les "locomotives" et en regard du travail qu'elles auraient par ex effectué, à titre perso, par ex, et leur offrir une exposition qui peut leur amener un travail plus satisfaisant et en faire aussi des "modèles" à suivre. Voir un billet intéressant sur les RSE: http://www.christian-faure.net/2011/08/30/remarques-sur-les-reseaux-sociaux-dentreprise-en-2011/

    Outre les 2 pistes que je mentionne précédemment, je ne vois pas encore de réponse toute faite aux pbs que vous posez. Mais, ce qui est intéressant dans l'époque actuelle, c'est qu'il y a différents initiatives en cours - comme celle d'Octo, par ex, http://blog.octo.com/partageons-ce-qui-nous-departage-le-livre-est-sorti/ - qui sont susceptibles de faire bouger les choses.

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